28 février 2010

Le Millennium Bridge de Londres, la crise financière mondiale : un problème d'amortisseurs ...

Patrick Jaulent, Président du club Balanced Scorecard & Performance Europe.
Philippe Mularski, Directeur Financier.

Le titre de cet article vous a sans doute intrigué et vous vous demandez quel peut bien être le rapport entre le Pont du Millenium de Londres et la crise financière que nous traversons. Avant de répondre à vos attentes commençons par faire quelques rappels sur ce magnifique ouvrage d’art. Le Pont du Millenium (en anglais : Millennium Bridge) est un pont à « suspension latérale » situé à Londres.

Il s'agit d'une passerelle en acier réservée aux piétons enjambant la Tamise pour relier le quartier de Southwark sur la rive gauche à la City sur la rive droite.
Le pont a été inauguré le 10 juin 2000 par la Reine en présence de la BBC et de plusieurs milliers de personnes. Si vous consultez les archives de la BBC vous y trouverez quelques images et vidéos impressionnantes de cette belle journée. Celles-ci immortalisent un événement qui a eu lieu quelques instants avant l’inauguration. Le Pont du Millenium s’est mit à osciller si violemment que de nombreux piétons sur le pont ont dû se tenir aux rambardes pour ne pas tomber. Deux jours plus tard, en raison d'un phénomène de résonance, le pont oscilla latéralement de façon imprévue. Ce jour-là, une marche caritative devant traverser le pont attira beaucoup de monde. Les mouvements de balancement furent provoqués par le grand nombre de piétons (90 000 personnes le premier jour et jusqu'à 2000 personnes en même temps sur le pont). Les premières vibrations encourageaient et parfois obligeaient les piétons à marcher au rythme du balancement, ce qui accentua les oscillations, même en début de journée lorsque le pont était encore relativement peu chargé. Le pont fut fermé au public afin de permettre aux ingénieurs d’identifier les causes de ce phénomène de résonance et d’y remédier.

Pour identifier les causes de ce phénomène les ingénieurs ont soumis le pont à des vibrations au moyen d’une machine spéciale. Ils constatèrent qu’une secousse horizontale de 1 hertz (un cycle par seconde) déclenchait une oscillation analogue à celle observée avec les milliers de personnes marchant sur le pont. Sachant qu’une marche normale est d’environ un pas par seconde, cela signifie qu’à chaque seconde l’un de nos pas frappe le sol. Nos jambes étant légèrement écartées, notre corps se balance d’un côté à l’autre pendant que nous marchons. Naturellement, la probabilité que les 2000 personnes sur le pont se mettent ensemble à marcher au pas en même temps est proche de zéro. Mais que se passerait-il si le pont bougeait suite, par exemple, à un coup de vent. Il y a fort à parier que les personnes sur le pont réagiraient à leur environnement.

Si le pont n’est pas stable les personnes le traversant vont naturellement chercher à adopter une position qui permette de conserver l’équilibre. Ainsi, lorsque le pont bougera les personnes le traversant chercheront toutes au même instant une position qui garantisse l’équilibre. Les piétons se rendant compte rapidement qu’il est plus confortable de marcher ensemble de manière synchronisée avec le balancement du pont.

Ils vont ainsi marcher au pas comme le montrent les diverses vidéos disponibles sur Internet, en ignorant, n’ayant pas tous fait l’armée, qu’il faut éviter de marché au pas sur un pont.

Et c’est bien là le problème, car ce mouvement simultané des personnes pour atteindre l’équilibre fournit une impulsion au pont qui bouge encore plus fortement. Le pont bougeant encore plus fortement, les personnes cherchent au même instant une nouvelle position d’équilibre. Vous l’avez compris, le pont s’autoalimente et entre ainsi en oscillation. Cette situation illustrée par le principe ci-dessous (cf. la transformée de Fourier), va se poursuivre et s’amplifier même lorsque le coup de vent sera depuis longtemps terminé.

Quel est le rapport entre le Pont du Millenium de Londres et la crise financière mondiale ?
La crise financière que nous traversons comme toutes les grandes crises résulte de la conjonction de plusieurs phénomènes. Il ne fait cependant aucun doute que le marché de l’immobilier aux Etats-Unis en est l’épicentre. La taille du marché du crédit hypothécaire aux Etats-Unis est de 13 000 milliards de dollars. Imaginez l’impact d’une variation modeste : une variation de 5 % c’est 650 milliards de dollars d’actifs.

Le scénario du problème de marché (les fameux subprimes) est simple à comprendre comme l’a été celui de l’instabilité du pont : une hausse des prix de l’immobilier augmente la valeur de la garantie ainsi que la capacité de l’emprunteur à contracter une dette plus importante puisque sa richesse nette s’accroît. Le processus s’autoalimente à la manière du Pont du Millenium : une hausse des prix des actifs entraîne une expansion du crédit qui alimente la demande d’actifs, entraînant ainsi l’augmentation des prix des actifs, et ainsi de suite. Sur le marché de l’immobilier aux USA il y a eu un doublement de la valeur des biens entre 2000 et 2006 et puis il y a eu éclatement de cette bulle.

 Le Pont du Millenium bouge -> Les piétons sur le pont ajustent leur position -> Le Pont du Millenium bouge encore plus -> Les piétons…

 Les prix des actifs augmentent -> les banques prêtent -> les prix des actifs augmentent encore plus -> Les banques prêtent encore plus en sous-estimant de plus en plus la probabilité d’un retournement de marché : archétype connu sous le nom de « myopie face au désastre ».

Dans le cas du Pont du Millenium, des mesures de correction ont été prises et le problème a été résolu, « avant qu’il n’éclate » par l'installation d'amortisseurs hydrauliques et de masse pour contrôler les oscillations horizontales et latérales. Les travaux ont été menés de mai 2001 à janvier 2002. Après une période d'essai, le pont a été rouvert au public le 22 février 2002 : depuis, aucune vibration importante n'a été signalée.

Dans le cas de la crise financière, les mesures de régulation ont été prises « après son éclatement ». Souhaitons que celles-ci permettent de résoudre définitivement « les grandes vibrations » du marché. A l’image des amortisseurs du pont installés préventivement et qui ont nécessité 9 mois de travaux, les amortisseurs de la crise mis en place, à posteriori, ne porteront leurs effets qu'après un certain temps, car le système financier à fortement oscillé à la manière du Millenium Bridge. Espérons que ce délai ne soit pas trop long.

2 commentaires:

  1. Merci pour cet excellent article. Une question de fond subsiste, cependant, pour le pont du Millenium comme pour la crise financière: pourquoi un phénomène archi-connu (comme vous le faites remarquer, le premier fantassin venu sait que l'on ne traverse pas un pont "au pas" et il comprend intuitivement le phénomène de résonance) ne l'est-il pas des ingénieurs de sa Majesté, chargés de la sécurité publique? De même, la spirale spéculative classique (que vous décrivez pour les sub-primes, mais qui pourrait tout aussi bien s'appliquer à la "bulle Internet" et autres crises financières majeures) est d'autant mieux connue des particuliers qu'ils en profitent très largement au départ, souvent à leur propre étonnement ; pourquoi les régulateurs sont-ils les seuls à ne pas saisir les effets pervers d’un phénomène finalement assez habituel et ne font-ils rien pour prévenir des catastrophes collectives pourtant annoncées? Il est vrai que, dans la plupart des cas, les ponts sont solides et les ingénieurs ne sont pas sur le pont!

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  2. Merci pour votre retour. Cela m’encourage à écrire.

    La 1er question est « Comment en est on arrivé à cette situation ?

    La crise financière puis économique qui est en cours depuis l’été 2007 s’est déroulée en trois temps. On est en effet passé d’un problème de marché (les subprimes, objet de l’article) à une crise financière (le marché des refinancements à court terme) puis à une crise bancaire qui a des répercussions macroéconomiques. Naturellement d’autres causes l’ont aggravée une fois qu’elle a été amorcée.

    La 2e question est « Pourquoi en est on arrivé à cette situation ?

    Vous l’avez parfaitement noté. Le problème de marché a satisfait tout le monde :

    -> Au niveau des préteurs : banques. La hausse des prix des actifs a encouragé celles-ci à prêter directement au secteur immobilier pour deux raisons au moins : le rendement attendu de leur portefeuille d’actifs immobiliers et la valeur économique du capital ont augmenté. La banque ont prêté de plus en plus en sous-estimant la probabilité d’un effondrement du prix de l’immobilier. Mais c’est arrivé !

    -> Au niveau des acheteurs : les particuliers. Un crédit a bon marché via des innovations financières créées par les prêteurs : une augmentation des candidats à l’accession à la propriété.

    En un mot, « tout le monde il est beau tout le monde il est gentil… du prêteur à l’acheteur »… jusqu’à l’été 2007.

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