Après une série de posts un peu technique, j’avais l’envie d’en écrire un, plus léger et empreint d’humour.
J’étais dans ma voiture et le PDG d’une société du CAC 40 était invité sur la chaine de radio B.F.M. Interrogé sur l’activité de sa société, il eut cette réponse : « nous enregistrons une croissance moins négative que nos concurrents » !!!!!
Cette réponse n’était pas sans me rappeler un propos que j’avais récemment lu dans le rapport annuel 2009 d’une autre société cotée en bourse : « si le premier semestre s’est soldé par une croissance interne négative, le second semestre a affiché un beau retournement de situation ». Retournement de situation d’une croissance interne négative ! Faut-il comprendre que le second semestre a enregistré une décroissance interne positive ?
La rhétorique managériale rechercherait-elle à tout prix un langage de performance ? C'est-à-dire ce langage dans lequel tout événement se doit d’être présenté positivement.
Nous avons tous déjà lu ou entendu ce discours : « le rapprochement que nous venons de conclure avec la société X est le résultat d’une stratégie ambitieuse qui nous permettra, appuyé sur nos marques prestigieuses, de devenir un acteur incontournable du marché. Cette alliance, créatrice de valeurs, était une opportunité à saisir pour nos métiers en pleine mutation …. ».
Vous le remarquerez, une « décroissance » devient une « croissance négative », une « stratégie » est toujours « ambitieuse », les « marques » sont inévitablement « prestigieuses », un « acteur » est forcément « incontournable », les « opportunités » sont évidemment « à saisir » et les « métiers » incontestablement « en pleine mutation ».
On ajoute ainsi systématiquement aux mots ce que Roland Barthes nommait des adjectifs de revigoration.
Ce langage aseptisé, composé de phrases passe-partout, se développe encore dès lors que le besoin se fait sentir d’adoucir la brutalité de certains événements de la vie de l’entreprise.
Ainsi, une « prise de contrôle » devient un « rapprochement », on ne parle plus de « création de profit » mais de « création de valeurs », une « restructuration » devient un « recentrage sur le cœur de métier » que l’on anglicisera d’ailleurs en « recentrage sur le core-business ». Un « plan de licenciement » s’atténue en « reenginering social » ou en « plan de sauvegarde pour l’emploi » et à destination non plus de « salariés à la recherche d’un emploi » mais de « talents en recherche de nouveaux challenges ».
Le langage évolue encore lorsque des fonctions ou des métiers ont besoin de changer d’image, on ne parle plus de « patrons » mais « d’entrepreneurs créateurs d’emplois », la « direction » devient le « management », les « actionnaires » deviennent des « investisseurs », le « conseiller » est appelé « coach » et « l’avocat » est présenté comme le « conseil ».
Les discours de Présidents en introduction aux rapports annuels des sociétés se différencient peu dans leur langage et sont souvent très conformistes.
- Les mauvais résultats sont encore, la plupart du temps, justifiés par l’environnement et très rarement par une erreur d’évaluation ou un manque d’anticipation. Ainsi seront mis en cause « le contexte économique difficile », « l’augmentation du prix des matières premières », « l’environnement monétaire instable », etc. …
- Les résultats positifs sont en revanche toujours attribués à la bonne gestion du groupe et à la réussite de sa stratégie. Et s’il est encore fait allusion à l’environnement ce n’est que pour mettre un peu plus en valeurs le dynamisme et la performance réalisée par l’organisation.
Extraits de rapports annuels d’entreprises cotées : (je ne citerai pas les noms)
- « Une nouvelle année de croissance rapide malgré un contexte défavorable » Société X rapport annuel 2003,
- « Si la croissance du chiffre d’affaires a ralenti en 2008, elle est restée d’un bon niveau (…) malgré les vents contraires des monnaies et des prix des matières premières. (…) cette performance traduit à la fois la capacité de résistance du groupe et la qualité du management » Société X rapport annuel 2008.
Certaines sociétés évoluent malgré tout vers plus de créativité :
- regardez le rapport annuel 2008 de la société CEGID (et là, je cite son nom) : « La crise ? Un retour à l’agilité entrepreneuriale », l’expression est bien trouvée,
- allez sur le blog de Michel Edouard Leclerc « De quoi je me M.E.L. », le jeu de mots est très joli.
A cet égard, Jeanne Bordeau, fondatrice de l’Institut de la Qualité de l’Expression, recommande aux managers de « trouver les univers de mots qui colorieront et caractériseront l’entreprise ».
La société IBM l’a parfaitement compris, en pratiquant l’autodérision. Dans sa publicité intitulée « bingo bla-bla » elle épingle très justement les nombreux termes techniques et autres anglicismes utilisés trop régulièrement en entreprise, et, avouons le, par nous les premiers.
Qu’en pensez-vous ?
On décèle effectivement ce verbiage en pointant une oreille attentive tout autour de nous.
RépondreSupprimerMais Pierre DAC ne disait il pas aussi bien avant nous: "Il est idiot de monter une cote à bicyclette, quand il suffit de se retourner pour la descendre"?
Philippe,
RépondreSupprimerJ'ai découvert votre blog il y a une semaine et je n'ai que deux mots à vous dire : passionnant et tellement proche de nos préoccupations.
J'écoutais BFM cet après midi et je n'ai pu m'empêcher de repenser à votre article concernant le langage de la performance. La question portait sur l'évolution du marché boursier, fallait-il l'imaginer en forme de "W" ou en forme de "racine carrée" ? La réponse de l'intervenant fut de dire qu'il l'a voyait "naïké" allusion à la forme du logo de la marque Nike !
Encore une fois toutes mes félicitations.
Françoise L. - Directrice financière
Merci à vous Françoise pour vos encouragements
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